Spywares : ces logiciels à votre écoute
Par Emmanuel JUD
(02/12/02)
Rien ne les différencie en apparence des logiciels classiques, à part leur
propension à la gratuité. Les spywares sont pourtant les représentants d'un
nouveau modèle économique, dans lequel les produits et services s'échangent
contre une parcelle de vie privée. Après les scandales provoqués en 1999 par la
découverte de spywares dans deux logiciels très populaires, la pratique est
devenue plus transparente mais les abus restent nombreux.
Téléchargés sur internet ou trouvés dans le CD-Rom d'un magazine informatique,
les spywares sont des logiciels (presque) comme les autres.
Qu'est-ce qu'un spyware?
Un spyware, en français "espiogiciel" ou "logiciel espion", est un programme ou
un sous-programme conçu dans le but de collecter des données personnelles sur
ses utilisateurs et de les envoyer à son concepteur ou à un tiers via internet
ou tout autre réseau informatique, sans avoir obtenu au préalable une
autorisation explicite et éclairée desdits utilisateurs.
Même préalablement informé d'un éventuel tracking, l'utilisateur n'en reste pas
moins soumis à une surveillance dont la nature peut s'avérer illégale du point
de vue de la législation de son pays. L'analyse de sa navigation sur internet
peut ainsi par exemple permettre de déduire et de stocker des informations -
réelles ou supposées - sur ses origines raciales, ses opinions politiques,
philosophiques ou religieuses ou encore son appartenance syndicale, ce qui est
interdit en France sans le consentement de l'intéressé.
Une autre définition du spyware pourrait être un logiciel commercial
(c'est-à-dire légalement disponible dans le commerce, payant ou gratuit) que son
mode de financement ou son mode de fonctionnement amène à recueillir puis
transmettre à un tiers des données personnelles concernant ses utilisateurs,
sans avoir obtenu au préalable une autorisation explicite et éclairée de ces
derniers. Les spywares sont donc différents des chevaux de Troie et autres
enregistreurs de frappes au clavier (keyloggers), contrairement à une
déformation récente de leur définition, même si ces derniers peuvent également
être utilisés pour collecter et envoyer des données sensibles, dans un but cette
fois clairement malveillant.
Les spywares sont parfois confondus avec les adwares, ces logiciels dont
l'auteur se rémunère par l'affichage de bannières publicitaires, sans pour
autant recueillir ni transmettre de données personnelles et sans forcément
porter atteinte à la vie privée de leurs utilisateurs (le navigateur Opéra ou le
logiciel de messagerie Eudora en version gratuite sont des adwares). Ils sont
également confondus à tort avec les cookies et les web-bugs, qui ne sont pas des
programmes espions mais plutôt des procédés techniques dont la mise en oeuvre
peut être détournée pour porter atteinte à la vie privée.
Deux types de spywares
Une première classification des spywares peut être établie en tenant compte de
leur fonction, à savoir le commerce ou le renseignement :
les spywares commerciaux collectent des données sur leurs utilisateurs et
interagissent de manière visible avec eux, en gérant l'affichage de bannières
publicitaires ciblées, en déclenchant l'apparition de fenêtres pop-up, voire en
modifiant le contenu des sites web visités afin par exemple d'y ajouter des
liens commerciaux. Ce sont les spywares les plus courants. Leur existence est
généralement mentionnée dans la licence d'utilisation du logiciel concerné, mais
souvent dans des termes ambigus et/ou dans une langue étrangère, ce qui fait que
l'utilisateur n'est pas correctement informé. Ils se présentent généralement
sous la forme de logiciels gratuits, pour les éditeurs desquels ils constituent
une source de revenu ;
les mouchards collectent également des données sur leurs utilisateurs mais le
font dans la plus totale discrétion. La surveillance et la réutilisation
éventuelle des données collectées se font à l'insu des utilisateurs,
généralement dans un but statistique ou marketing, de débogage ou de maintenance
technique, voire de cybersurveillance. L'existence de ces mouchards est
délibérément cachée aux utilisateurs. Ils peuvent concerner n'importe quel
logiciel, qu'il soit gratuit ou payant, mais de par leur nature ils sont peu
fréquent, le risque en terme d'image en cas de découverte et médiatisation de
l'existence du mouchard par un utilisateur étant à lui seul dissuasif pour la
plupart des éditeurs.
Une seconde classification peut être opérée en fonction de la nature des
spywares, à savoir leur constitution logicielle :
le spyware intégré (ou interne) est une simple routine incluse dans le code d'un
programme ayant une fonction propre pour lui donner en plus la possibilité de
collecter et de transmettre via internet des informations sur ses utilisateurs.
Les logiciels concernés sont par exemple Gator, New.net, SaveNow, TopText, Alexa
ou Webhancer ainsi que la totalité des mouchards. Le spyware et le programme
associé ne font qu'un et s'installent donc simultanément sur l'ordinateur de
l'utilisateur ;
le spyware externalisé est une application autonome dialoguant avec le logiciel
qui lui est associé, et pour le compte duquel elle se charge de collecter et de
transmettre les informations sur ses utilisateurs. Ces spywares sont conçus par
des régies publicitaires ou des sociétés spécialisées comme Radiate, Cydoor,
Conducent, Onflow ou Web3000, avec lesquelles les éditeurs de logiciels passent
des accords. Le spyware de Cydoor est par exemple associé au logiciel
peer-to-peer KaZaA, et s'installe séparément mais en même temps que lui.
Une nouvelle tendance encore plus contestable concerne les utilisateurs du
navigateur Internet Explorer. Certains spywares comme Gator cherchent à
s'installer automatiquement sur le poste de l'internaute au moyen de la
technologie ActiveX, lors de la visite de pages web peu recommandables.
Fonctionnement d'un spyware
Dans le cas des spywares commerciaux, avant de pouvoir procéder à l'installation
du logiciel gratuit convoité l'utilisateur est généralement invité à fournir
certaines informations personnelles voire nominatives (email, nom, âge, sexe,
pays, profession, etc.). Un identifiant unique est alors attribué à l'ordinateur
de l'internaute, qui permettra de relier les données collectées et centralisées
dans une gigantesque base de données aux informations personnelles fournies par
l'utilisateur, voire éventuellement à d'autres informations recueillies sans
préavis (configuration, logiciels installés, etc.).
L'analyse de ces données permet de déterminer les habitudes d'utilisation, les
centres d'intérêts voire les comportements d'achat de l'utilisateur et de lui
proposer ainsi des bannières publicitaires, des courriers électroniques
promotionnels ou des informations commerciales contextuelles toujours plus
ciblés, en rémunérant au passage les éditeurs de logiciels partenaires. Dans le
cas du spyware commercial Cydoor, l'installation du programme copie sur le
disque les fichiers nécessaires au fonctionnement de l'application (cd_load.exe,
cd_clint.dll et cd_htm.dll), crée un répertoire pour stocker les bannières qui
seront affichées à l'utilisateur même lorsqu'il sera hors ligne (Windows/System/AdCache/),
puis modifie la base de registres.
La plupart des spywares fonctionnent avec une extrême discrétion : ils agissent
en tâche de fond, apparaissent rarement dans le Menu Démarrer de Windows et même
dans le cas des spywares externalisés sont le plus souvent absents de la liste
des programmes installés figurant dans le Panneau de configuration. Dans le cas
des spywares commerciaux, il est normalement fait état de leur existence dans la
licence du logiciel mais ça n'est pas toujours le cas et c'est souvent en des
termes trompeurs, décrivant rarement le détail des informations collectées et
l'utilisation qui en sera faite. Quel que soit le type de spywares, les données
collectées et transmises sont définies dans le code source du spyware, et le
cryptage des transmissions fait qu'il est difficile de s'assurer de leur nature
exacte.
Le spyware s'exécute souvent automatiquement au démarrage de Windows et mobilise
donc en permanence une partie des ressources du système. Pour collecter
certaines données, les spywares peuvent également être amenés à modifier des
fichiers vitaux gérant par exemple les accès à internet, ce qui peut conduire à
des dysfonctionnements importants en cas d'échec de l'installation ou de la
désinstallation du spyware. Certaines fonctionnalités annexes comme la mise à
jour automatique peuvent aussi représenter un danger pour la sécurité de
l'utilisateur, en permettant le téléchargement et l'installation à son insu d'un
autre programme ou d'un autre spyware, voire d'un programme hostile dans le cas
du détournement du système par une personne malveillante.
Règles générales de protection
Depuis les scandales provoqués en 1999 par la découverte de spywares dans
SmartUpdate (Netscape) et RealJukeBox (Real Networks), la pratique est devenue
plus transparente dans le cas des spywares commerciaux, même si les abus restent
nombreux. Quelques règles simples peuvent être observées :
lisez attentivement les conditions d'utilisation d'un logiciel avant de
l'installer. L'existence d'un spyware commercial et de ses fonctionnalités
annexes y sont normalement signalées, même s'il faut bien souvent lire entre les
lignes car le spyware y est présenté en des termes édulcorés voire trompeurs,
voire parce que tout est fait pour que l'utilisateur évite de lire lesdites
conditions d'utilisation. Si vous ne comprenez pas la langue dans laquelle est
rédigée une licence d'utilisation vous ne devriez pas installer le logiciel
concerné ;
réfléchissez bien avant de dévoiler des informations personnelles. Dans le
meilleur des cas, les conditions d'utilisation sont généralement conformes au
droit américain, donc beaucoup moins protectrices en matière de vie privée qu'en
Europe. Notamment ne donnez pas votre adresse email permanente chez votre
fournisseur d'accès mais plutôt un compte d'email gratuit qui pourra être fermé
en cas de spamming ;
n'acceptez pas sans réfléchir les programmes supplémentaires éventuellement
proposés lors de l'installation d'un logiciel. New.net, SaveNow et Webhancer
sont ainsi proposés par défaut lors de l'installation de KaZaA, mais il suffit
de décocher les cases correspondantes pour qu'ils ne soient pas installés ;
installez un firewall personnel et surveillez les demandes d'autorisation de
connexion à internet, afin de détecter toute application suspecte. C'est une
autre bonne raison d'installer un firewall personnel ;
informez-vous auprès de sites spécialisés. Secuser.com et sa lettre
d'information hebdomadaire Secuser News aborde régulièrement la question des
spywares au travers de l'actualité ou de dossiers ;
gardez enfin à l'esprit qu'installer un logiciel n'est jamais une opération
anodine : cela revient à autoriser le programme à effectuer toutes les
opérations qu'il souhaite sur votre disque dur. Outre un spyware, un programme
douteux peut contenir un virus ou un troyen, donc un minimum de précaution
s'impose.
Les spywares commerciaux n'étant pas des virus ni des troyens, analyser son
disque dur avec un antivirus à jour n'assure pas de l'absence d'un spyware. Il
existe cependant d'autres moyens de les détecter voire de les éliminer : il est
ainsi utile d'exécuter un antispyware périodiquement ou après l'installation
d'un logiciel douteux, pour s'assurer de ne pas avoir installé un spyware sans
le savoir.
Comment détecter la présence d'un spyware ?
Le plus simple pour détecter la présence d'un spyware est de procéder par des
moyens indirects, à savoir son activité, la présence de fichiers
caractéristiques ou le nom du logiciel suspect. Les moyens ci-dessous sont assez
faciles à mettre en oeuvre, mais ne concernent que les spywares commerciaux
ainsi que les mouchards dont l'existence a été découverte.
Il existe ainsi des listes de spywares, consultables en l'état, sous forme de
moteurs de recherche ou encore d'utilitaires dédiés. Près d'un millier de
logiciels (spywares intégrés ou programmes associés à un spyware externalisé)
ont ainsi été recensés, dont Babylon Translator, GetRight, Go!Zilla, Download
Accelerator, Cute FTP, PKZip, KaZaA ou encore iMesh :
Cette méthode de détection est simple, mais aucun site ne peut prétendre à
l'exhaustivité : même l'utilitaire Ad-Search (LavaSoft) édité par un spécialiste
du sujet est incomplet. Elle ne constitue donc qu'une première approche, qui
reste très pédagogique car elle permet de mesurer l'ampleur du phénomène.
Certains firewalls personnels sont capables de filtrer le trafic sortant sur une
base applicative, c'est-à-dire que chaque application souhaitant accéder à
internet doit au préalable y avoir été autorisée. Pour ce faire, une alerte est
émise, comme ici avec ZoneAlarm (ZoneLabs) et le spyware Webhancer :
cette solution donne de bons résultats avec la plupart des spywares, y compris
si le spyware est un fichier DLL (l'application qui tente de se connecter à
internet est alors RUNDLL32.EXE), mais elle ne peut rien contre les spywares
intégrés si le logiciel concerné a déjà été autorisé à accéder à internet dans
le cadre de son fonctionnement normal. L'utilisateur doit par ailleurs être
suffisamment compétent pour pouvoir décider si l'application qui tente de se
connecter doit ou non y être autorisée.
C'est pourquoi des antispywares ont été conçus sur le modèle des antivirus, afin
de détecter les spywares sur la base de signatures. Utilisables facilement même
par des non initiés, ils permettent de détecter un spyware même s'il n'est pas
actif, mais restent dépendants de la mise à jour du fichier des signatures.
OptOut étant abandonné, le plus performant des antispywares gratuits actuels est
Ad-Aware (LavaSoft), qui a par ailleurs le mérite d'exister en version française
:
Ce programme permet de scanner la mémoire de l'ordinateur, la base de registres
et les différents disques à la recherche des composants indiquant la présence
d'un spyware connu. En version payante, il dispose même d'un moniteur capable de
surveiller le système en permanence et d'empêcher l'installation d'un spyware en
temps réel.
Comment faire pour éliminer un spyware ?
La désinstallation d'un logiciel ne supprime pas forcément le spyware installé
avec lui. Ainsi, la désinstallation de KaZaA ne supprime ni son spyware
externalisé Cydoor, ni les autres spywares installés avec ce logiciel.
Pour éliminer un spyware intégré, il suffit le plus souvent de désinstaller
l'application correspondante depuis le Panneau de configuration de Windows. Dans
le cas d'un spyware externalisé, il est par contre généralement nécessaire de
passer par une procédure fournie par son éditeur dans une obscure FAQ, ou plus
efficacement d'utiliser Ad-Aware en supprimant les fichiers constitutifs du
spyware :
Dans la plupart des cas, l'élimination d'un spyware externalisé fera que le
logiciel associé cessera de fonctionner, affichant un message du type : "Vous
avez effacé un composant du logiciel nécessaire à son exécution. Le logiciel ne
fonctionnera plus mais vous pouvez le réinstaller". Certains antispywares
permettent de bloquer ou de neutraliser un spyware tout en continuant à utiliser
son logiciel associé, mais leur utilisation est assimilable à du piratage, les
contrats de licence faisant généralement du spyware une contrepartie obligatoire
à l'utilisation gratuite du logiciel associé.
NB : les logiciels antispywares incluent souvent la détection de certains
cookies dans leurs signatures, au risque d'affoler les non initiés car les
cookies ne sont pas des spywares. Ce sont de simples fichiers texte gérés par
votre navigateur Internet qui permettent aux sites web visités de stocker
certaines informations sur votre disque dur - personnelles ou non, en fonction
des données que vous confiez à ces sites - afin de pouvoir les retrouver lors de
votre parcours dans le site ou lors de votre prochaine visite. Si vous ne
souhaitez pas autoriser les sites web à utiliser des cookies, il suffit de
désactiver ou de limiter strictement cette option dans votre navigateur web.
Spyware or not spyware ?
S'il ne peut y avoir aucune hésitation à condamner les mouchards et plus
globalement le principe visant à espionner les utilisateurs à leur insu,
contrairement à la publicité en ligne telle que pratiquée par la régie
DoubleClick - qui par l'intermédiaire des sites web de tous ses clients collecte
et centralise elle aussi des données sur les préférences de chaque internaute* -
le tracking opéré par les spywares commerciaux a le mérite de ne concerner que
les utilisateurs qui décident d'installer un de ces logiciels, laissant donc la
liberté aux autres internautes de ne pas en installer ou d'opter pour une
version payante dépourvue de spyware.
Malheureusement, au lieu d'opter pour la transparence et d'en expliquer
clairement les enjeux, beaucoup d'éditeurs de logiciels ont été tentés de
profiter de la discrétion des spywares pour en dissimuler l'existence ou pour
les laisser implantés même après la désinstallation du logiciel associé. Des
pratiques abusives qui ont rapidement décrédibilisé le concept, jetant la
suspicion y compris sur la nature réelle des informations collectées. Les
spywares commerciaux sont ainsi devenus aux freewares et aux sharewares ce que
le spamming est à l'e-mailing. Ils ont d'ailleurs également créé un marché
spécifique, puisqu'aux spywares qui exploitent la confiance ou l'ignorance des
internautes viennent désormais s'ajouter un nombre croissant d'utilitaires
antispywares payants qui exploitent les peurs - et il faut bien le dire aussi
parfois l'ignorance - de ces mêmes internautes.
Qu'il se résigne à voir ses données personnelles converties en dollars à son
insu par d'obscurs logiciels ou qu'il choisisse de se protéger par l'acquisition
d'utilitaires toujours plus nombreux et coûteux, l'internaute est-il condamné à
payer la facture des spywares quelle qu'en soit la monnaie? Heureusement que
non, mais sauf à renoncer à installer de nouveaux programmes sur son ordinateur,
il devra chercher à s'informer et surtout faire preuve d'un minimum de vigilance
s'il souhaite que sur Internet sa vie reste privée.
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